" C'est un récit bien banal et j'espère qu'on lui reconnaîtra à tout le
moins les mérites qu'on reconnaît d'ordinaire à un journal de voyage. Je
puis encore ajouter ceci : " Voilà le monde qui vous attend si vous
vous trouvez un jour sans le sou. " Ce monde, je veux un jour l'explorer
plus complètement. J'aimerais connaître des hommes comme Mario, Paddy
ou Bill le mendiant non plus au hasard des rencontres, mais intimement.
J'aimerais comprendre ce qui se passe réellement dans l'âme des
plongeurs, des trimardeurs et des dormeurs de l'Embankment. Car j'ai
conscience d'avoir tout au plus soulevé un coin du voile dont se couvre
la misère.
Je tiens toutefois à souligner deux ou trois choses que m'a
définitivement enseignées mon expérience de la pauvreté. Jamais plus je
ne considérerai tous les chemineaux comme des vauriens et des poivrots,
jamais plus je ne m'attendrai à ce qu'un mendiant me témoigne sa
gratitude lorsque je lui aurai glissé une pièce, jamais plus je ne
m'étonnerai que les chômeurs manquent d'énergie. Jamais plus je ne
verserai la moindre obole à l'Armée du Salut, ni ne mettrai mes habits
en gage, ni ne refuserai un prospectus qu'on me tend, ni ne m'attablerai
en salivant par avance dans un grand restaurant. Ceci pour commencer. "
George Orwell
Dans la dèche à Paris et à Londres, George Orwell, traduit par Michel Pétris, éditions Ivrea (paru en 1933)